Une ville durable pour quels citadins?

Publié le par Jérôme LJ

La ville durable est fantasmée de toutes parts. Le rapport Attali a récemment mis en publicité les "écopolis", ces villes modèles de 50 000 habitants qu'il faudrait créer de toute pièce . Masdar dans les Emirats et Dongtang en Chine, entre démagogie, mégalomanie et innovation, s'apprêtent à devenir les aiguillons d'un devenir urbain mariant écologie et technologie. Les revues spécialisées du monde de l'urbanisme ou des collectivités territoriales regorgent d'expériences d'éco-quartiers que les élus locaux souhaitent exemplaires en matière de consommation d'espace, de recours aux énergies renouvelables, de mixité sociale. Les publicités elles-mêmes mettent en scène une ville que l'on imagine verte et hypermoderne à défaut d'être humaine et chaleureuse.

On peut légitimemement se poser la question de la place du citoyen dans cette ville du futur. Première interrogation : la souhaite-t-il vraiment ? La ville durable sera dense ou ne sera pas, c'est en gros l'information qu'a véhiculé un rapport récent de l'agence européenne de l'environnement (EAA, 2006). Or, en déplaise aux urbanistes, la grande majorité des citoyens rêvent de vivre en dehors de la ville constituée, tout bêtement dans une maison au milieu d'un terrain qui offre espace, sécurité et intimité pour l'épanouissement du noyau familial. Les promoteurs ne s'y trompent pas. Ils savent parfaitement négocier les terrains nécessaires auprès d'élus locaux désireux de développer leur commune tout en permettant à des vieux copains de réaliser une substancielle plus-value foncière. Combien d'éco-quartiers pour combien de lotissements mangeurs d'espaces ? Dans un département comme l'Indre-et-Loire, la majorité des logements qui sortent de terre sont produits en diffus (c'est à dire hors procédure d'urbanisme)... On sait aussi qu'ils sont majoritairement individuels et qu'ils consommeront par conséquent entre 10 et 50% d'énergie  de chauffage en plus que les logements en immeubles collectifs.

Deuxième interrogation : le citoyen, pour peu qu’il souhaite être citadin, est-il à la hauteur de la ville que l'on veut lui proposer ? Si on met de grands espoirs dans la ville durable, il faut, à la hauteur de ces espoirs, fixer de grandes exigences. Les exigences sur lesquelles on se focalise le plus souvent concernent les techniques constructives, les formes urbaines, l'approvisionnement en énergie, la mixité sociale. On évoque également le transport, à l’origine d’un quart des rejets de gaz à effet de serre. Il fait l’objet d’un foisonnement d’initiatives innovantes (vélo en libre service, auto-partage, réseaux tramway, intermodalité,
contrats d’axe…). Bâtiment (techniques constructives), architecture (formes urbaines), haute technologie (énergie), sociologie (mixité), transport… toutes ces disciplines se mettent en lien. On peut s’en réjouir mais il manque un maillon essentiel : les comportements des citadins. Leur prise en compte inscrit, de fait, la ville dans un système territorial beaucoup plus vaste. On change d’échelle de réflexion. Prenons l’exemple des achats alimentaires. Un système-ville est-il durable lorsqu’y rentrent des poulets du Brésil ou des pommes du Chili ? Un système-ville est-il durable lorsqu’il cohabite, sur ses marges, avec une agriculture intensive ou des élevages hors sol qui compromettent la qualité de l’alimentation en eau et la qualité de l’air ? Les comportements alimentaires sont une composante essentielle de la durabilité de la ville : ils rappellent que la ville est un système intégré et qu’elle est elle-même intégrée dans un système. Ils rappellent que jusqu’à la moitié du XXème siècle, la ville ne pouvait vivre sans un hinterland tourné vers elle avec ses maraîchers, ses arboriculteurs, ses éleveurs. La proximité était une condition de sa survie. La proximité est aujourd’hui accessoire. Or c’est par une inversion des comportements que peuvent se systématiser les circuits courts et l’agriculture biologique, tous deux moins énergivores, moins producteurs de déchets. Combien de citadins ont l’habitude de faire « leur » marché et quelle proportion sont-ils par rapport à ceux qui vont faire les courses au supermarché ? Combien s’intéressent à la fois l’origine, à la qualité et à la saisonnalité des produits qu’ils achètent ? A quoi bon porter l’effort sur 14km de lignes de tramway si, parallèlement, le citoyen trouve normal qu’une tomate ait parcouru 3000km avant d’arriver dans son panier ?
Le développement durable semble parfois servir de caution aux pratiques non écologiques...  
Une ville durable a-t-elle un sens si elle est considérée comme un isolat territorial et si elle ne se dessine que sous l’angle de ceux qui sont mandatés pour la concevoir ? Comment le citadin peut-il prendre conscience à la fois des conséquences négatives de ses habitudes de comportement aujourd’hui et de l’effet multiplicateur positif que génèrerait une modification de celles-ci dans un futur proche ?
Il est vrai qu’agir sur le système, c’est agir sur soi même, car nous faisons partie du système. Il est plus difficile de désapprendre que d’apprendre. Mais la difficulté n’est-elle pas challenge ? Les changements seront longs. Le mensuel Alternatives Economiques nous apprend dans son dernier numéro "qu'à l'heure où le pouvoir d'achat est en berne, le modèle low cost propose de consommer toujours plus en consommant toujours moins cher".
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M
Très bonnes réflexions. Une ville ne peut pas être écologique (ou durable pour utiliser un terme à la mode)  sans une vue plus générale qui prend en compte ce qui entre dans la ville (nourriture, mais aussi les équippements) et ce qui en sort (déchets).On pourra se reporter au numéro de mars 2008 du mensuel la décroissance dont le thème principal est la ville: http://www.ladecroissance.net/?chemin=journal47
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