"L'inde du Nord Ouest est soumise à un régime de mousson mais il n'y pleut pas!" Morceaux choisis de l'ouvrage de Jean Marie PELT

Publié le par Jérôme LJ

Une définition bienvenue pour débuter ce livre, celle du mot "écologie". Introduit par Haeckel en 1866, il désigne "l'étude des interrelations des êtres vivants avec les milieux qu'ils habitent". L'objectif de l'ouvrage est annoncé en introduction : offrir au grand public une défense et une illustration de ce mot écologie si souvent employé et repris en politique mais dont le sens reste encore confus pour beaucoup. Pas de scientisme de façade pour cet ouvrage puisque les jugements de fait et les jugements de valeur ne sont pas séparés par une frontière infranchissable. Pas non plus d'élitisme ni d'éloquence dans les propos, l'ouvrage se veut d'accès facile et s'apparente à une vulgarisation intelligente d'un domaine scientifique, l'écologie, qui gagne à occuper davantage les esprits des citoyens du monde que nous sommes. Par une série d'exemples pris aux quatre coins de la planète, Jean Marie Pelt nous fait découvrir concrètement ce qu'est un ecosystème (un marais de Guyane, les prairies américaines...), ce milieu où s'organisent les échanges entre le sol, le climat, les espèces végétales et animales et, bien entendu, l'Homme.

 

 

Les premières pages nous décrivent un voyage intergalactique à l'issue duquel on se rend compte que la Terre est la seule oasis de l'Univers, la seule planète connue qui ait engendré la vie. Le vaisseau spatial qui nous transporte aterri à Tenerife, île montagneuse des Canaries située au large de l'Afrique. Premier élément important du fonctionnement des écosytèmes : la zonation altitudinale de la végétation. En parcourant la soixantaine de kilomètres qui sépare l'aéroport international du sommet du mont Teide (3700m - point culminant de l'Espagne), on voit défiler une impressionnante variété de sites et de paysages. On a en effet toute une série de zones climatiques variant avec l'altitude : zone de steppe, zone méditerranéenne, zone de froid sibérien au sommet, à chaque zone étant associées des espèces végétales et animales différentes. Jean Marie Pelt nous livre l'histoire de quelques unes d'entre-elles : le dragonier géant est, par exemple, une pièce de musée puisqu'il peut atteindre les 1000 ans d'age pour un tronc de 23 mètres de circonférence! On apprend aussi que Tenerife est un conservatoire de la flore de l'Europe ancienne dont de nombreuses espèces, fuyant la glaciation, ont réussi à se réfugier ici sous un climat plus favorable évoquant celui de l'Europe à l'ère tertiaire. Ce sont les oiseaux qui transportèrent leurs graines. Ces espèces sont venues se mélanger avec les espèces autochtones formant ainsi un véritable laboratoire végétal à ciel ouvert. Dans l'ancien cratère de Las Canadas, le plus grand du monde avec 15 kilomètres de diamètre, la Vipérine est une plante donnant naissance à une gigantesque hampe florale de 2 mètres de haut. Tellement épuisée par cet effort, la pauvre meurt à la fin de la floraison.

 

 

L'étude des marais salés de Lorraine permet d'illustrer un autre élément important du fonctionnement des écosystèmes : la nature du sol. C'est sur les gisements souterrains de sel déposé par la mer qui couvrait la Lorraine à l'ère secondaire que poussent les salicornes. Les plaques de salicornes ne font que quelques m2 de superficie, à la différence de Tenerife, on est donc ici dans la micro-écologie. L'auteur détaille les cinq facteurs qui se combinent et influencent le fonctionnement de cet ecosystème : les saisons (évaporation plus forte en été), le niveau de la nappe souterraine, la salure de cette nappe, la salure du sol lui-même et enfin la micro-topographie. On a des séquences caractéristiques de la végétation des eaux les plus salées aux eaux les moins salées. Ce qui est assez extraordinaire, c'est que l'on retrouve les mêmes séquences dans les régions d'Allemagne du Nord ou de Hongrie. C'est en quelque sorte l'armature centrale d'un même dispositif végétal.

 

 

Le Mont Saint-Michel à présent. Patrimoine Mondial de l'Humanité, il prend assise sur une baie qui n'est pas moins dénuée de richesses, naturelles celles là. La baie du Mont Saint-Michel offre un formidable exemple de synergies, de symbiose entre les éléments du milieu naturel. Les marais à obiones (petits arbrisseaux) sont les richesses de la mer. Très productifs, ils donnent annuellement 20 tonnes de matière organique sèche à l'hectare et ce, sans labours ni pesticides. Les obiones abritent un petit crustacée, l'orchestia ainsi que des bactéries qui permettent la minéralisation (c'est à dire l'assimilation rendue possible pour les autres espèces vivantes) de la matière organique. Les diatomées, micro-algues présentes dans les vasières, se nourissent de ces nutriments. Elles sont alors reprises par le flot en marée montante et contribuent à ensemencer la mer en nutriments. Ce n'est pas un hasard si, en baie du Mont Saint-Michel on récolte chaque année 12 000 tonnes de moules et 10 000 tonnes d'huitres. Conchyliculteurs et ostréiculteurs doivet indirectement leurs revenus aux marais à obionnes. La baie est également du fait de ces marais une nurserie pour poissons. Cela permet la présence d'importantes populations de bars qui eux mêmes rendent possible la présence de grands prédateurs tel que le Grand Dauphin. Entre obiones et Grand Dauphin, la relation peut paraître très ténue, elle existe néanmoins, puisque tous deux appartiennent au même écosystème, celui que forme la baie avec ses marais, ses courants marins et ses marées.

 

Après cette vision emprunte d'extase toute humaine devant le fonctionnement des écosystèmes, Jean Marie Pelt entre dans le détail de catastrophes écologiques qui ont pour origine les excès de l'exploitation anthropique des ressources naturelles. Le première escale du tour du monde malheureux de ces catastrophes nous mène dans les Grandes Prairies américaines. Clements, botaniste américain, a attiré pour la première fois l'attention dans les années 1930, sur le rôle déterminant de l'Homme dans l'évolution des écosystèmes. Le 14 avril 1934, une énorme tornade venue du Nord du Texas recouvre la côte Atlantique d'une poussière épaisse. Les cultures sont ensevelies. C'est ce qui est alors appelé le Dust Bowl. Le phénomène revient chaque année. Il est imputable à la sur-exploitation agricole des Grandes Prairies qui a laissé à nu les terres et les a offert à l'érosion éolienne. Avant l'invasion subite de l'homme blanc, les Grandes Prairies se trouvaient dans un état de stabilité dans lequel la formation végétale (de grandes herbes ondulant sous des vents puissants) était en parfait équilibre avec le sol et le climat. C'est cet état de stabilité que Cléments a qualifié pour la première fois de climax, terme très important en écologie. La stabilité n'apparaît qu'à la suite de modifications successives, de séries évolutives qui aboutissent au climax.

La désertification du Bassin Méditerrannéen a également des origines anthropiques. L'espagne était autrefois très boisée, parait-il qu'un écureuil pouvait, en sautant d'un arbre à l'autre, la parcourir du nord au sud, des Pyrénées à Gibraltar. Aujourd'hui, le paysage offre à la vue dans bien des endroits que des steppes désertiques. La désertification a pour point de départ une décision politique qui remonte au XIIèm siècle avec les souverains de Castille. Ils récompensèrent leurs valeureux officiers et capitaines dans la lutte contre les infidèles en leur faisant don de terres destinées à l'élevage. Des transhumances gigantesques, la Mesta, ont été oragnisées pendant des siècles. Même phénomène en Inde du Nord. Jean Marie Pelt nous décris le processus de désertification : surpaturage donc désertification des sols]forte insolation]érosion par le vent donc masse poussièreuse]diminution de la radiation solaire le jour et refroidissement moindre la nuit ]réduction des amplitudes termiques jour/nuit]réduction de la condensation et de l'humidité]baisse des pluies]baisse de la productivité végétale]accentuation du surpaturage, l'homme cherchant par cette voie à compenser sa perte de revenus liée à la désertification. Le cercle vicieux est enclenché. Cet exemple nous enseigne une chose : l'interdépendance des éléments du milieu naturel. Aussi, la modification d'un seul paramètre environnemental peut suffire à perturber le fonctionnement du système global grâce auquel vivent les populations humaines. L'Inde du Nord Ouest, aussi paradoxal et surprenant que cela puisse paraître, est soumise à un régime climatique de mousson, mais il n'y pleut pas!

Nauru, Haïti,... les exemples mentionnés dans l'ouvrage sont nombreux. On peut s'arrêter sur la Mer d'Aral. Elle faisait 66 000 km2 en 1960, plus que 26 000 km2 en 2005. Sa profondeur s'est réduite de 22m. Des villes autrefois littorales se trouvent aujourd'hui à 80km. Les dépots de sel et les pesticides venant des eaux fluviales contaminent les populations qui vivent là. Les pathologies humaines sont terrifiantes : cancers, mortalité infantile, anémies... Le recul progressif de la mer a engendré l'accroissement du niveau de salure, ce qui menace toujours davantage la survie des poissons et rend déliquescent le secteur de la pêche qui faisait vivre autrefois des milliers de personne. La cause de ce dépérissement naturel et humain est là encore politique. La Russie a souhaité mettre en valeur ces terres vierges en faveur de la production de coton dès la fin du XIXèm siècle. Les eaux des grands fleuves alimentant la mer d'Aral ont été utilisées. La forte évaporation liée au climat de la zone, ajoutée à l'indigence des canaux de distribution d'eau ont entrainé des consommations d'eau qui dépassent l'entendement. Le débit des deux fleuves s'en est trouvé fortement réduit : 50km32 par an en 1950 et seulement 1,3 en 1986. Il s'en est suivi un assèchement du climat accompagné d'une réduction des pluies. Le processus est terrible : irrigation]lessivage des terres ]eaux chargées en sel]dépôts de sel en surface du fait de la forte chaleur (40° à l'ombre)]stérilisation des terres. 

Kasakhstan - Epave échouée dans la baie de Birlestik (mer d'Aral). Photo Yann Arthus Bertrand

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