Le mode projet au sein de la Communauté Urbaine de Bordeaux : desapprendre pour mieux apprendre

Publié le par Jérôme LJ

Ce texte est extrait d'un rapport de recommandations que j'ai rédigé lors d'un stage de 6 mois au sein de la Communauté Urbaine de Bordeaux. Il analyse le versant organisationnel de la diffusion du mode projet au sein de cette organisation publique qui compte un peu plus de 2000 agents.



A l’instar de Lille ou de Lyon, la communauté urbaine de Bordeaux (CUB) a mis en place une démarche commune de gestion et suivi de projet (GSP) destinée à favoriser la transversalité, le partage de l’information, la maîtrise de la qualité, des délais et des coûts dans la gestion de ses projets. Mise en place par la Mission Evaluation, Prospective et Conseil (MISEPC), elle s’appuie sur un référentiel, la Charte des Projets, et sur un outil informatique commun. Cette démarche est essentielle pour la CUB, tant pour la gestion des projets au sein de chaque service que parce qu’elle répond aux axes stratégiques fixés par la Direction Générale : Améliorer la réalisation des projets de la Communauté ; Améliorer la maîtrise des processus de la CUB : transparence, fiabilité, rapport prix/service rendu.

           La démarche est ambitieuse et de longue haleine. Depuis 2003, une équipe dédiée a été mise en place pour ce projet, assistée d’un prestataire extérieur. De nombreux agents ont été formés sur la méthode puis sur l’outil afin de réussir là où une précédente tentative avait échoué. Un certain nombre de difficultés propres à une organisation comme la communauté urbaine agissent en effet comme autant de freins au développement d’une telle démarche, nous aurons l’occasion d’y revenir.  

           La diffusion de la GSP s’est appuyée sur un large nombre d’acteurs au sein de l’organisation avec un sponsorship important assuré par les Directions.

           La méthode a été mise en œuvre un an et demi avant l’arrivée de l’outil informatique avec le travail d’une dizaine de directeurs sur la Charte des projets, qui a été validée en équipe de Direction Générale (EDG) en mai 2003 puis en conseil de communauté en juin de la même année.  Elle est entrée en application en janvier 2004 puis des sessions de formation et d’accompagnement méthodologique ont été mises en place. L’outil, qui se base sur le système d’information Artemis et qui offre de nombreuses interfaces logiciel, est arrivé en mai 2005. La saisie des projets dans l’outil représente un travail important d’autant que le choix a été fait d’opter pour une définition très large de la notion de « projet ». Ce sont ainsi près de 1700 projets qui ont été recensés dans les différentes Directions. Face à cette charge de travail, a été fixé ce qui est obligatoire à saisir par projet afin que l’EDG puisse en avoir une lecture intéressante (présentation du projet, localisation, planning des grands jalons décisionnels, aspects financiers).

 

 Les prochaines phases du déploiement de la GSP vont s’articuler autour d’initiatives d’accompagnement et d’approfondissement dans des Directions où on atteint un niveau de maturité intéressant (formations à la carte sur la gestion des risques, planification par exemple). Un certain nombre de demandes émergent également quant à d’éventuelles évolutions de l’outil informatique.

 

La GSP s’inscrit dans un ensemble de démarches de progrès interne qui participent d’un mouvement global de modernisation de l’action publique au sein de la communauté urbaine de Bordeaux. La démarche qualité, initiée en 1999 sur la base du volontariat, a pour objectif de décortiquer une dizaine de processus internes menés dans différentes Directions : repérer les causes de dysfonctionnement, proposer des solutions et des objectifs de progrès, mettre au point un référentiel modifié (cible) du processus et entrer dans une logique d’amélioration continue. La démarche qualité concerne par exemple les études préalables ainsi que les études pré-opérationnelles menées dans le cadre d’une opération d’aménagement. Autre démarche lancée en 2003, les projets de service incitent chaque Direction à définir ses objectifs stratégiques, déclinés en objectifs de résultats auxquels correspond un plan d’action qui défini le « qui fait quoi » au sein de la Direction. Enfin, les contrats de développement territoriaux, encore balbutiants, visent à institutionnaliser un certain nombre d’engagements entre les communes et la CUB. A l’image des contrats de plan Etat-Région, chaque commune sera amenée à prioriser ses propres projets dans un souci de cohérence avec les objectifs poursuivis par la CUB.

 Les paragraphes suivants permettent de mieux comprendre les enjeux actuels concernant la diffusion de la GSP au sein de la CUB. Comme tout projet de changement à ses débuts, le projet GSP n’est pas encore bien approprié.

 

1 - Les symptômes d’une appropriation à accroître

 

On note une forte focalisation sur l’outil informatique, ce qui fait presque oublier qu’il existe une méthode en gestion de projet : l’outil informatique est vécu comme une contrainte plus qu’un support, on phosphore beaucoup sur les évolutions logicielles envisageables (interfaces, nouvelles fonctionnalités…). Un chef de projet estimait ainsi : « On nous a appris à renseigner le logiciel mais pas à l’exploiter ». L’impression générale est la suivante : les acteurs prennent part certes au changement mais le subissent plus qu’ils n’y participent. Cela nous amène à considérer la mise en garde d’Edgar Morin lorsqu’il parle de l’usage des programmes informatiques dans les projets de gestion. Selon lui, cet usage des programmes informatiques répond à « des critères organisationnels techno-bureaucratiques (…) qui induisent les sujets à une utilisation programmatique et mécanique, réduisant leur potentiel stratégique (inscrit dans la relation sujet/ordinateur) à une simple optimisation de l’emploi de programmes standardisés ». Le défi, dit l’auteur, est, au contraire, d’enseigner à « créer des stratégies et non pas à manipuler des programmes de façon mécanique ». La diffusion très limitée des contrats de projets et autres lettres de mission prévus dans la GSP est symptomatique de  la faiblesse de ces stratégies dont parle Edgar Morin. Les acteurs de projet n’ont pas, en effet, mesuré la force stratégique potentielle des lettres de mission et des contrats de projet, focalisés qu’ils sont sur la saisie des informations dans GSP. Est souvent énoncé également le manque de temps étant donné que la GSP est venue s’ajouter au flux d’activités quotidiennes qui reste bien sûr identique. Les aspects méthodologiques sont de ce fait passés en arrière plan. Enfin, devant s’appliquer uniformément aux 1700 projets recensés, qui concernent des domaines aussi différents que l’organisation/management, la voirie, l’urbanisme ou le développement économique, ces aspects méthodologiques sont peu opérants alors même que les acteurs des projets territoriaux expriment clairement le besoin d’être davantage « outillés » en terme de méthode afin de dompter la complexité de leurs projets.

 

2 - Des remèdes anti-symptômes aux effets pervers

 

Face à ces symptômes d’appropriation à accroître, on cherche à développer les interfaces logicielles avec GSP, afin de réduire les double saisies, on cherche à améliorer les fonctionnalités afin de rendre l’outil plus facile d’utilisation, on est à l’écoute des requêtes émanant des acteurs projet comme si on voulait, tel un retour de balancier, favoriser les initiatives bottum up. Cela a pour effet de déresponsabiliser les acteurs de projet qui se croient en droit d’en demander davantage sans remettre en cause fondamentalement leur manière de travailler, sans entrer dans une logique de désapprendre pour mieux apprendre. On est clairement ici dans la politique du « plus de ». Face à une situation difficile, à savoir l’appropriation à accroître d’un projet stratégique pour la CUB ayant nécessité des investissements importants (équipe projet dédiée, consultants, prestataire informatique, investissement-temps des Directions et acteurs de projet),  on est tenté de faire « plus de la même chose ».

 

Il faut dire que la mise en place d’un système d’information est certainement plus quantifiable et palpable en terme de résultats, pour la Direction Générale des Services, que l’enclenchement d’actions d’accompagnement du changement culturel ou d’échange d’expériences qui elles, sont plus diffuses et cherchent des effets de long terme difficilement mesurables… Mais quel est son impact à long terme ? Le risque alors est que le changement se confonde avec les outils car on peut plus facilement en justifier auprès de la hiérarchie. Il a également été envisagé de sanctionner les Directeurs dont les services ne seraient pas performants dans la saisie des projets, ce qui a provoqué une crispation des premiers concernés.

 

La crispation est présente également chez les acteurs de projet qui doivent concilier les objectifs de saisie des informations de projet dans GSP et le flux d’activités quotidiennes qui ne s’est pas allégé. La gestion de projet est vécue comme une contrainte dans ses formes actuelles, d’autant plus que les acteurs ont du mal à identifier ses finalités. En conséquence, l’outil est davantage perçu comme un moyen de reporting, de remontée d’informations, du bas vers la Direction Générale.

 

A un niveau de référence individuelle, il n’est donc pas porté haut dans les cœurs : il génère un surplus de travail, il n’épaule pas vraiment le management des projets (puisque relativement inopérant car globalisant) et enfin, il est vécu comme un élément de « flicage » mis en place par la hiérarchie n+2 ou 3. Pour autant, si on se place cette fois à un niveau de référence universel, les acteurs de projet considèrent le changement comme bénéfique. Le changement est érigé au rang de valeur, il est vu comme signe de vitalité et de dynamisme en creux par rapport à la tradition bureaucratique sclérosante de la CUB, fustigée par les agents eux-mêmes. Si on se place à un niveau de référence organisationnel cette fois, les acteurs notent la nécessité du changement, la situation actuelle (mauvaise communication entre acteurs, lourdeur administrative de l’organisation bureaucratique, anticipation défaillante des problèmes…) étant considérée comme insatisfaisante. La CUB, à tord ou à raison, est critiquée par les élus qui la jugent peu réactive. Les techniciens répondent à cela que la CUB a bon dos et que les retards accumulés dans les projets ont essentiellement pour cause les tergiversations politiques. Les agents se trouvent insuffisamment organisés entre-eux pour affronter la complexité des situations rencontrées sur le terrain des projets, ils sentent les déficits de coordination. Le changement est donc une nécessité à leurs yeux. Pour autant, ils s’interrogent sur la capacité à changer. La coalition dominante à la CUB maintien une tradition très technicienne héritée de l’histoire intercommunale locale. La CUB est en effet une « vieille » intercommunalité qui s’est constituée dans les années 60 autour de compétences très techniques (voirie, assainissement…). Dans ce contexte, quel crédit réel est accordé au projet GSP étant donné les tendances à l’inertie ? Les individus ont conscience que cet élément les dépasse. Ils viennent confronter la GSP et ses ambitions aux représentations qu’ils se font de l’organisation, de ce qu’elle est. Ils y voient un décalage : la GSP prône la transparence et la circulation des informations, la transversalité alors que l’organisation est traditionnellement bureaucratique, cloisonnée, structurée par des jeux de pouvoirs difficiles à remettre en cause.  

 

On a donc des représentations contradictoires par rapport au changement. Elles coexistent et s’enchevêtrent : les acteurs ont une vision bénéfique du changement (ils le considèrent comme un signe de vitalité, de dynamisme), ils en voient la nécessité (il permettra de réduire un bon nombre de dysfonctionnements) mais dans le même temps ils ne sont pas rassurés au niveau individuel (surplus de travail, « flicage »), se demandent si le système actuel en est capable (inertie organisationnelle, frein des élus) et si le changement correspond à l’identité de l’organisation (tradition technicienne, approche par le service public). Les représentations induisent l’action, elles conditionnent même l’ensemble des comportements. Cette ambivalence des représentations peut par conséquent devenir un frein à l’action et à l’engagement volontaire des acteurs dans l’évolution de leurs pratiques. Il y a alors toujours mille bonnes raisons pour ne pas changer, pour ne pas déstabiliser les piliers du fonctionnement actuel. Par exemple aujourd’hui, « les valeurs de service public sont souvent utilisées comme paravent à l’immobilisme et au conservatisme». L’impression qui ressort, après avoir entendu les acteurs de projet, est que leur raisonnement forme des boucles difficiles à démêler, on sent des tensions contradictoires. Ils sont dans un climat d’incertitude néfaste à l’épanouissement du mode d’action par projet et à la mise en place de la méthodologie y afférant.

 

Avatar de ces contradictions, on remarque la naissance d’initiatives indépendantes de suivi de projet, qui échappent pour le coup au système d’information GSP mais qui, elles, sont appropriées puisqu’elles répondent à un besoin et sont conçues par les Directions afin de faciliter le travail au quotidien. Des fiches de suivi de projet ainsi que des tableaux de bord ont ainsi été mises en place à la DDOA (Direction en charge de la conduite de projets d'urbanisme). Ils répondent à des objectifs très spécifiques : avoir une connaissance précise des opérations pour mieux les préparer ensuite (être plus pertinent dans la programmation par exemple), affirmer le rôle de maîtrise d’ouvrage en se dotant de moyens de suivi et pilotage, faciliter l’évaluation. Problème : ces outils sont limités à la fois dans les possibilités qu’ils offrent en terme de gestion de projet et dans le partage de l’information (c’est d’autant plus gênant que les projets territoriaux impliquent un grand nombre de partenaires).

 

La solution du « toujours plus » que nous avons évoqué au début de ce paragraphe risque de mettre en échec le changement qu’impulse la GSP, précisément parce qu’il ne semble pas suffisamment à l’écoute des représentations. Globalisant et cherchant l’exhaustivité, il ne favorise pas un engagement progressif volontaire des acteurs de projet. La saisie des informations de projet dans GSP est tombée d’un coup sur le nez des acteurs de projet. Les exigences qu’implique le changement sont jugées difficilement acceptables car d’une part elles mettent à mal la liberté des individus et d’autre part elles prennent peu en compte leurs enjeux propres. Le caractère relativement isolé de la diffusion du mode projet (elle n’est pas accompagnée d’une approche ambitieuse en terme de ressources humaines, d’une refonte en profondeur de l’organigramme, ce qui lui donnerait pourtant une crédibilité supplémentaire) fait que les acteurs n’ont pas le sentiment que les changements vécus sont irréversibles. Il y a incohérence entre l’argumentation des promoteurs de la GSP et la réalité organisationnelle, les agents estimant que la seconde l’emporte sur la première. Dans ce contexte, mis à part les pionniers minoritaires qui ne supportent pas la routine et qui prennent au bond la moindre possibilité de changement, une majorité d’individus opte pour une posture « légaliste ». Ce n’est qu’au moment où ils percevront l’irréversibilité du changement qu’ils s’investiront. L’absence de mise en œuvre de systèmes de renforcement des nouveaux comportements n’aide pas la conquête des légalistes : les possibilités d’expérimentation sont faibles, on constate peu les réussites, on les communique donc encore moins et les systèmes de reconnaissance (primes, avancements…) restent inchangés.

 

3 - Solution de fond et facteurs de croissance

 

Une partie de la solution de fond tient dans la capacité à faire s’exprimer les besoins émergents autour de la gestion des projets, puis à y apporter des réponses concrètes afin d’instaurer un système d’échange gagnant – gagnant entre les chefs de projets et les promoteurs de la gestion de projet. D’une approche top down globalisante qui a souhaité disposer d’une vue exhaustive sur les projets de la CUB, l’intérêt désormais est sans doute de se rapprocher des besoins, d’entrer dans les spécificités, d’apporter du sens, donc, d’emporter la confiance des acteurs de projets. Des systèmes d’assistance, tels les bureaux de projet, pourraient être mis en œuvre afin de rentrer dans le contenu des projets et non plus seulement édicter des cadres de référence. De manière isolée déjà les chefs de projet font appel à des assistances à maîtrise d’ouvrage en management de projet (consultants extérieurs) mais ces initiatives, non capitalisées, ne renforcent pas leurs capacités managériales à long terme et il est à craindre une dépendance vis-à-vis de l’expert. L’accent doit on être mis sur la formation orientée sur les méthodologies de management de projet et à ce moment là seulement émergeront les besoins les plus pertinents concernant l’évolution de l’outil informatique. On a là un facteur de croissance potentiel : non seulement on répondra aux besoins des acteurs de projet mais en plus ils percevront concrètement l’utilité de la démarche de gestion de projet. L’accent peut également être mis sur la valorisation personnelle que peuvent engendrer les formations, les expérimentations et, plus généralement, la participation à des projets gérés comme tels.

Les quatre grands leviers qui se dégagent sont donc les suivants :

 

- porter les efforts sur la méthode pour donner sens au management de projet : « ne leur donnez pas le poisson, apprenez les à pêcher »,

- viser l'exemplarité sur quelques projets afin de créer une dynamique qui accélèrera les initiatives en faveur de la GSP,

- privilégier le long terme et miser sur le facteur humain : renforcer les capacités managériales des cadres, 

- répondre aux besoins pertinents concernant l’évolution de l’outil GSP.  

A l’inverse, des risques sont à éviter. Le premier serait d’appliquer des remèdes superficiels (le toujours plus) sans que ne soit trouvée une solution de fond. On tenterait alors de forcer la croissance sans supprimer au préalable les facteurs qui la freinent, on renforcerait un cadre de contraintes mal perçu car venant se surimposer à un ensemble de contraintes déjà existantes. L’organisation de projet ne doit pas s’apparenter à un carcan. Le second risque serait de faire évoluer l’outil sans une appropriation préalable de la méthode. On aurait alors une augmentation du coût, une dépendance vis-à-vis de l’expert, des capacités managériales internes déclinantes et un outil dont on voudrait qu’il gère le projet à notre place. Enfin, accentuer la pression pour la saisie exhaustive des projets dans GSP ne ferait que renforcer les crispations et annihilerait les avancées qu’a porté la GSP : diffusion d’un dialogue commun, partage croissant d’une culture de projet, perception de la nécessité du changement des pratiques, passage progressif à une culture de l’écrit.

 

4 - Les facteurs de ralentissement

 

Sur la voie de la raison (la solution de fond) se dressent les réactions de la hiérarchie intermédiaire qui peut se sentir dépossédée d’une partie de ses prérogatives et s’interroger sur son nouveau positionnement dans un éventuel schéma d’organisation par projet. Directeurs et chefs de service peuvent avoir du mal à intégrer le fait qu’ils ne peuvent pas interférer sur des projets transversaux auxquels participent certains des agents placés sous leur responsabilité hiérarchique. La cohabitation entre une administration de mission organisée autour des compétences traditionnelles et une administration de projet au sein de laquelle la transversalité est rendue nécessaire, n’est pas acquise d’avance.

Par ailleurs, le travail supplémentaire qu’implique l’application d’une méthodologie de projets est très chronophage. Il l’est d’autant plus que l’on n’a pas encore expérimenté concrètement cette méthodologie et que les tâtonnements peuvent, par conséquent, être importants. Le découragement ou la sensation de perte de temps peuvent apparaître.

            Un autre facteur de ralentissement fondamental réside donc dans la politique RH : prend-elle véritablement la pleine dimension des impacts du mode d’action par projet sur la gestion des ressources humaines ? L’avancement est encore déterminé par le grade et le système d’évaluation est organisé par Directions. Aucune cartographie des compétences ne permet d’anticiper sur les besoins en formation or c’est par ce biais que l’on peut sensibiliser les cadres au management de projet. Par ailleurs, comment prendre en compte le temps consacré par les acteurs à la gestion de projet ?  

 

Quatrième facteur de ralentissement, la Direction Générale des Services se déresponsabilise quelque peu de la définition de priorités claires entre les innombrables projets que mène la CUB. En l’absence de management stratégique, les projets structurants, pour la plupart transversaux, doivent passer au régime de l’entonnoir. Les Directions gèrent avant tout leurs propres priorités. Cet état de fait vient renforcer les difficultés structurelles, liées cette fois au cloisonnement hiérarchique, qu’engendre le défaut de coordination entre les acteurs de projet.

Ce même cloisonnement est problématique en ce qui concerne la culture en gestion de projet. Elle semble en effet hétérogène entre les Directions, qui ont négocié le virage du changement plus ou moins rapidement. Lorsque deux Directions sont amenées à travailler de concert, les efforts de l’une peuvent être annulés par le retard de l’autre. Le problème se pose avec davantage d’acuité pour la DDOA, qui, de part la transversalité naturelle des projets qu’elle a à mener, doit solliciter un ensemble de directions prestataires. Or si l’envie de changement est bien présente au sein de la DDOA étant donné la nature de ses projets, les Directions prestataires, à vocation plus technique, ne partagent pas cette envie avec la même ampleur. Leur métier est de gérer soit des petits projets qui s’apparentent d’ailleurs davantage à des opérations (c’est le cas de la Direction de la Voirie et de la Proximité), soit des projets dont les méthodes et les objectifs ne posent aucune ambiguïté (Direction des Grands Travaux) et ne sont donc pas frappés par la même complexité que celle des projets urbains. Le défaut de coordination pose problème par exemple concernant la saisie des données dans l’outil informatique GSP. Pour les projets d’aménagement, si la DDOA renseigne correctement les informations dont elle dispose sur ses projets, il n’en est pas de même pour les directions prestataires. Il est donc difficile, voire impossible pour le chef de projet, de s’appuyer sur le système d’information GSP pour avoir une vue d’ensemble sur son projet alors que c’est l’une des ambitions de l’outil informatique. Le cloisonnement hiérarchique ne facilite pas la mutualisation et l’échange d’expériences. Peu de communication-capitalisation est par exemple effectuée sur le mode de fonctionnement de la mission Tramway, structure de projet organisée en commando, « sortie » de l’organisation hiérarchique. Egalement, des variantes importantes existent entre Directions sur un certain nombre de solutions techniques (chiffrages, matériaux…).

 

Enfin, dernier facteur de ralentissement, la complexification probable du système d’information pose la question de ses limites technologiques d’adaptation à la réalité des projets territoriaux, et plus généralement, de sa capacité à apporter les réponses logicielles aux spécificités intrinsèques à chacun des types de projets menés par la CUB. Quelle peut être la vitesse d’adaptation de l’outil informatique par rapport au vécu des acteurs de projet ? Les nombreuses demandes d’évolution laissent l’impression que l’on réinvente a posteriori le cahier des charges de l’outil.

 

On se rend compte à la lecture de ces facteurs de ralentissement que la solution de fond que l’on a évoqué, non seulement de porter l’accent sur la méthode et de pénétrer les spécificités, doit s’envisager globalement, c'est-à-dire au niveau de l’organisation. Même exemplaires, des efforts portés à l’échelle d’une seule Direction seront vains. La solution de fond, c’est également porter une ambition stratégique. L’enjeu de la réforme introduite par le management par projets est en effet de sortir de la logique gestionnaire dont on a vu qu’elle engendrait un activisme bureaucratique vide de sens (cf. la saisie systématique des projets dans GSP) et de trouver assise au contraire sur une logique stratégique qui ménage les possibilités d’expérimenter, d’apprendre collectivement par essais et par erreurs. C’est à cette condition que l’on parviendra à rassembler les acteurs de projet au sein de la CUB autour d’une nouvelle dynamique.

 

5 - Des éléments encourageants

 

            Le constat serait erroné s’il était uniquement négatif, un certain nombre d’éléments incitent à l’optimisme et doivent être considérés comme autant de facteurs propices à la diffusion de la culture de projet et à l’enclenchement des leviers que nous venons d’évoquer :

-          Le professionnalisme des acteurs projet. Il se caractérise par un engagement important dans un métier prenant, une réelle volonté de résoudre les problèmes et un sens exemplaire du service public.

-          Des savoirs techniques très étendus. Les acteurs de projet ont réponse à beaucoup de chose, savent où chercher l’information. 

-          Un esprit de solidarité qui se traduit par un fonctionnement à l’affectif, une recherche du compromis. 

-          Les projets urbains sont potentiellement fédérateurs des énergies. Ils marquent la ville, sont complexes, de longue haleine. L’urbanisme est un problème, non une solution, on questionne sans cesse le devenir de l’urbain. Tout cela est motivant. Les projets ne peuvent pas se faire sans l’assemblage des différentes expertises et chacun participe à la construction de l’édifice. Le projet d’urbanisme mise sur l’expérimentation, il est sans cesse différent. 

-          Le projet urbain est à la base de la valorisation personnelle. Transversal, il permet un apprentissage collectif puisqu’il mêle des cultures de métier très diversifiées. Il autorise donc l’accumulation d’un capital relationnel, culturel et professionnel. On commence à le percevoir avec la mise en œuvre de la GSP et la formalisation des rôles de projet. Le changement qu’implique le management de projet vaut pour tous, du cadre A, chef ou Directeur de projet, au cadre C, qui a l’impression réellement d’être acteur d’un projet et non exécutant désenchanté d’ une série de tâches. Dans leurs relations avec les autres acteurs, les chefs de projet se sentent davantage légitimes pour interpeller les individus, rappeler comment fonctionne l’équipe de projet. On arrive progressivement à transcender les cloisonnements hiérarchiques traditionnels. Le chef de projet se sent également responsabilisé par rapport à la réussite de son projet. 

-          La maturité apportée par la GSP. Malgré les difficultés liées à l’outil informatique, l’émergence d’un dialogue commun, d’une culture projet est réelle : on parle jalon, phase, structuration du projet, planification, tableaux de bord… c’est une base de travail intéressante. Les acteurs perçoivent l’intérêt d’un mode d’action par projet même si on ne sait pas toujours ce que cela peut recouvrir et apporter concrètement dans l’opérationnel. Signe de cette maturation progressive, les chefs de projet perçoivent désormais l’intérêt des contrats de projet. Après la pratique, ils savent ce qu’engendre leur fonction et expriment le besoin de formaliser leurs relations avec les membres de l’équipe projet appartenant à d’autres Directions.

-          Le changement d’identité organisationnelle véhiculé par la mission Tramway. Aux yeux des agents de la CUB, la mission tramway est clairement identifiée comme un succès dont on peut s’inspirer pour conduire des projets complexes. On sent une certaine curiosité vis-à-vis de cette mission d’autant que son organisation en « task force », structure sortie de l’organigramme, est jugée ambitieuse et garante d’un grand professionnalisme. La dissolution progressive de la mission tramway (liée à l’achèvement du programme de construction des lignes) pourrait permettre un essaimage de la culture de projet par l’intermédiaire des agents qui seront recasés dans les services de la CUB.

-          Les initiatives de coordination mises en place spontanément. La DDOA a par exemple réfléchi avec les chefs de projet intégré (conduite d’opération) sur leurs rôles respectifs dans l’utilisation de l’outil GSP, on note également la progression de la démarche qualité qui s’est enclenchée sur la base du volontariat (elle concerne la phase d’études préalables et d’études pré-opérationnelles des projets d’aménagement).

-          Une grande lucidité sur les blocages. Chacun a conscience que le système actuel de conduite des projets n’est pas optimal. On partage donc l’idée qu’il y a un problème. A partir de là, les acteurs sont plus ouverts à l’action : le changement est perçu comme nécessaire et légitime.

 

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